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Sortilèges de sable
Diane Marnier
Grottes pétrifiantes de Savonnières – Fermes troglodytes des Goupillières – Château d’Azay-le-Rideau
* * *
Je m’appelle Gilles Berthelot. J’étais trésorier de France auprès du roi François Ier. J’ai dû quitter mon château d’Azay-le-Rideau avant même son achèvement. Je devais échapper à de lourdes accusations. Le plus étrange, c’est que j’ai l’impression de n’être pas parti seul...
Elle s’appelait Marie, surnommée Gaufrette tant elle était menue. Malgré son apparence fragile, l’enfant était sauvage et téméraire. Elle croyait sa mère morte en la mettant au monde. Mais un bruit court que la femme était sorcière et a disparu au fond d’une grotte, une nuit de lune rousse...
Marie vivait avec ses grands-parents dans un étrange village fait de trois fermes creusées dans la roche : les Goupillières. Son père était tailleur de pierre. Un jour, pour le voir, Gaufrette se faufila sur le chantier de mon château, à Azay-le-Rideau. Quand elle l’aperçut, il sculptait un bas-relief. Même en plissant ses grands yeux verts et en fronçant son nez pailleté de taches de son, Marie ne distinguait pas le motif.
Mais elle voyait son père caresser le velouté de la tendre pierre blanche. Jamais il n’avait eu de geste si doux pour elle. Elle savait cette pierre précieuse. Extraites de son village troglodyte depuis des générations, les pierres de tuffeau servent à bâtir les châteaux de la Loire. Mais à cet instant, dans les yeux de la fillette, on voyait qu’elle voulait simplement être le tuffeau pour sentir la caresse de la main de son père...
Contrairement à moi, l’artisan n’a rien vu. Il soufflait en s’essuyant le front d’un revers de main. Il venait de finir la salamandre royale prévue pour orner la façade de mon château. À peine finissait-il de graver la devise « nutrisco et extinguo1 » qu’il a cru voir la salamandre onduler. Dans le même coup d’œil, il a entrevu une chevelure rousse.
« Gaufrette, a-t-il rugi. Que fais-tu là ?! » Tandis que l’enfant tentait quelque excuse, je suis intervenu. J’ai rappelé au tailleur que sa fille n’avait rien à faire là. Tout le monde sait que des cheveux roux léchés par le diable portent malheur sur un chantier ! La petite a détalé. J’ai appris plus tard ce qui lui est arrivé...
* * *
Marie a trouvé refuge dans une grotte près de Savonnières. Une grotte mystérieuse où poussent des pluies de stalactites, où des colonnes et des draperies de pierre se reflètent dans des lacs quand quelque lueur ose entrer. Ce que la fillette ignorait, c’est que c’est l’endroit même où disparut sa mère quelques années plus tôt.
Ses doigts ont touché un objet étrange dans l’obscurité. La forme était celle d’une cruche en terre, mais la texture était différente... De petites vaguelettes ondulaient sous ses mains, comme si la cruche était vivante. Intriguée, elle a sorti l’objet de la grotte. Une merveille ! Un pichet d’un blanc rosé, façonné de sable fin et scintillant.
Gaufrette a couru jusqu’aux Goupillières pour montrer sa trouvaille. Assise sur un tabouret de bois près du puits, sa grand-mère plumait la volaille du dîner. Les iris mauves décoraient le toit de la maison troglodyte derrière elle. La vieille femme n’a même pas levé les yeux. Quant à son grand-père, il extrayait un bloc de tuffeau de la paroi, agrandissant ainsi l’étable. Occupé à vérifier que l’épaisseur de poudre de calcaire au sol était suffisante pour amortir la chute du bloc, le vieil homme n’a pas vu la fillette. Personne ne faisait attention à elle.
Gaufrette est repartie en courant, la cruche étincelante à la main. Personne ne l’a revue.
* * *
Gilles Berthelot est mort peu de temps après cette histoire, un soir de lune rousse. À côté de son corps brillait un petit tas de sable fin. Peut-être aurait-il dû faire plus attention à cette petite fille aux cheveux de feu...
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1. « Je nourris et j’éteins » : devise de François Ier.
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