Faut pas chaux-mer !

Diane Marnier

Diane Marnier

L'autrice de cette histoire, Diane Marnier, est conférencière à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais.

Four à chaux de Venesmes

* * *

Vous me croirez pas. Ça a commencé par un concours de belote ! Ma copine Georgette m’a dit : « Viens Fatima, on va au concours de belote de Venesmes ! » C’est vrai qu’on forme une sacrée équipe. Et quand elle m’a dit que Patrick et Josette seraient là, j’ai pas hésité : j’avais bien envie d’une revanche !
Le fils de Georgette est venu nous chercher et nous voilà partis. L’endroit est facile à trouver : faut aller vers Lignières en venant de Châteauneuf-sur-Cher. Y a un vieux four à chaux à l’allure de pigeonnier, planté à gauche. Vous connaissez ? Z’êtes pas du coin ? Laissez-moi vous dire que depuis, j’en ai appris des choses sur ce four. Figurez-vous qu’il a été construit au milieu du XIXe siècle. Chez nous, y’a plein de terres agricoles. La chaux servait d’engrais pour augmenter les rendements. Ah, ça les intéressait bien les rendements à cette époque ! La chaux, ça servait aussi à la fabrication du verre, du papier, à la sidérurgie... et même à faire la bouillie bordelaise ! Sans ça, la bouillie aurait cramé les plantes.
Quand on est arrivé, Patrick et Josette étaient déjà sur une partie. Ils nous ont fait signe qu’on devait attendre notre tour. Alors Georgette et moi, on s’est posé sur les chaises installées sur la petite terrasse au pied du four. J’ai eu le temps de le regarder. « J’en aurais des questions sur ce truc », que j’ai dit à Georgette. Là-dessus, un monsieur en jeans m’a gentiment proposé de m’expliquer. Il se nomme Bernard Gesset. C’est le propriétaire. « Je suis à vot’ disposition », il a dit.
On a parlé des heures. Il m’a raconté que quand il a acheté le four, il était plein de lierre. Dedans comme dehors. Il m’a même montré une branche qu’il a gardée pour montrer aux visiteurs : quinze centimètres de diamètre ! Une bûche je vous dis ! Il m’a dit que ça lui avait pris plus de deux ans pour remettre tout en état. Mais le four peut pas fonctionner car il manque encore... argh, je me rappelle pas. Ah oui ! Le « bouclier thermique en briques » ! À l’intérieur, pour éviter que les murs éclatent sous la chaleur. Bah oui, ça devait monter à mille degrés quand même ! D’ailleurs, des vieilles biques, il en a encore. Euh, des vieilles briques pardon ! On voit une croûte dessus. Et des fissures. Elles viennent de Châteauneuf-sur-Cher. C’est chez moi. J’étais pas peu fière. La briqueterie de Vilatte, ça fait partie de not’patrimoine !
Vous avez vu, j’ai bien retenu hein ? Bon, comment ça marche le four à chaux, j’ai pas tout compris. Je me rappelle que Bernard m’a parlé d’un « pré-chargement de charbon et de pierres » qu’on mettait par le gueulard. C’est l’ouverture en haut. Quand tout brûlait bien, on mettait le reste des cailloux. Et après... beaucoup de temps, on avait de la chaux. On la retirait par les sortes de portes en bas. J’ai oublié le nom.
« Les ébraisoirs ! »
Ah oui ! Merci Georgette ! Comme quoi, elle l’a écouté le Bernard ! Je me rappelle que le chef du four, c’était le chaufournier. Y avait pas de thermomètre, alors c’est lui qui disait si c’était assez chaud là-dedans ou pas. Il pouvait commander d’ouvrir ou fermer les petits trous sur le mur pour qu’y ait plus ou moins d’oxygène et que ça cuise.
J’en reviens pas de tout ce que j’ai retenu ! Il est fin pédagogue le Bernard. Je crois que je me suis trouvé une nouvelle passion. Vous croyez que vous pourriez m’emmener de temps en temps à Venesmes pour que je pousse quelques brouettes pour aider Bernard ?
« T’es trop vieille ma Fatima. Tu serais bonne qu’à lui faire du thé ! Et pis, embête pas le monsieur de la radio. Il est pas venu dans l’Ehpad pour te faire le taxi ! »
Ouais, ouais. Quelle rabat-joie, la Georgette...
Le concours de belote ? Georgette a dû faire équipe avec quelqu’un d’autre ! J’avais aut’chose à faire moi ! Je parlais avec Bernard de son super four à chaux...

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Ici, on lit des histoires courtes

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