Se retrouver autour d'un Sancerre

Raphaëlle Frémont

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Raphaëlle Frémont

Château de Sancerre

* * *

Ça y est, elle commence à sentir son ventre se détendre. La voiture ronronne et les paysages défilent, ce n’est plus la ville, enfin. S’éloigner du confinement enfin terminé, respirer... Elle sent à quel point elle en avait besoin, là. Elle glisse un CD dans l’autoradio et se laisse bercer par la voix de la grande dame du jazz qui lui a donné son prénom... et fait rencontrer Francis, son mari, le trompettiste. Qu’il était beau sur scène avec ses longs cheveux roux ! Elle glisse un coup d’œil vers lui et se rembrunit. Son beau visage anguleux est crispé, comme chez eux.

Il se concentre sur la route, mais il n’arrive pas à interrompre le flot de ses pensées. Est-ce que la jauge à essence indique le bon chiffre ? Il aurait peut-être dû refaire un plein à mi-parcours, vers Gien. En plus, c’était joli, peut-être qu’Ella aurait aimé. Peut-être même que c’est là qu’ils auraient dû aller, c’est beaucoup plus près d’Orléans. Est-ce que c’était une bonne idée cette escapade à Sancerre ? Est-ce que l’hôtel sera bien ? Et puis il y a les questions qu’il tente d’éviter mais qui le hantent : est-ce qu’elle l’aime encore ? Est-ce que le confinement a pu tuer leur couple, juste comme ça ? Ou bien est-ce que c’est le cap des sept ans, comme le disait sa meilleure amie ? Ou bien le fait qu’il ne se sente toujours pas prêt à avoir des enfants ? Heureusement, l’arrivée dans le Bed and breakfast de Saint-Satur interrompt ses idées noires. Il est charmant, c’est déjà ça !

Elle sort de la douche parfumée et vêtue d’une robe longue à motifs qui met parfaitement en valeur sa peau noire et ses rondeurs, et s’assoit sur les genoux de Francis. Elle l’entoure de ses bras tendrement, et lui propose un petit tour dans la jolie ville de Sancerre. Ils ont bien roulé, la journée est encore jeune, elle a très envie de suivre le parcours dont lui ont parlé leurs hôtes, et dont le nom l’inspire : le fil d’Ariane ! Et si ça lui permet de retrouver son chemin dans le labyrinthe de son couple, c’est encore mieux...

Il tente de sourire, prend sa main et l’emmène. Il n’est pas sûr qu’ils auront le temps de tout faire avant leur rendez-vous au château de Sancerre à 11 h 30. Il a appelé l’office du Tourisme pour s’inscrire il y a une semaine, il a eu les dernières places. Il entreprend de suivre le tracé et découvre la ville... et sa femme, qui se plonge dans le guide et lui raconte la grande et les petites histoires du fil. Qu’est-ce qu’elle est belle quand elle s’enthousiasme comme ça ! Sa couronne de cheveux noirs et ses yeux qui brillent l’emportent, de l’austère portail roman aux curieux personnages qui jouent sur le toit de l’Hôtel de la Thaumassière...

Qu’est-ce qu’elle aime cette balade, cette liberté ! Et puis elle le sent, elle en est sûre, sa main à lui qui se détend et se réchauffe dans la sienne, leurs épaules qui se frôlent... le bonheur n’était peut-être pas si loin, en fait. La dégustation du midi se fait devant un panorama sublime, en haut de la seule tour restante du château médiéval de Sancerre. Ils font tourner les vins dans leurs verres, regardent les robes claires, sentent les arômes subtils et goûtent. Elle préfère les blancs. Elle hésite un peu avec le rosé très fruité, mais décidément, le Terre de silex gagne par sa fraîcheur.

Lui préfère la cuvée du connétable, un blanc aussi, avec une belle acidité. Il est temps de se trouver un petit restaurant pour continuer la dégustation ! Il sent que le vin le détend un peu plus. À table, enfin, il parle. Devant le plateau de crottins de Chavignol à différents degrés d’affinage, il raconte le confinement, ses doutes, l’absence de travail qui pèse, les peurs pour l’avenir...

Elle l’écoute. Enfin, il a ouvert les vannes. Ils vont pouvoir repartir sur de bonnes bases. Elle est soulagée, légère.

L’après-midi s’annonce splendide, ils se promènent à travers les vignes de sauvignon... leurs doigts s’entremêlent, leurs corps se parlent dans le silence du vent, leurs bouches se retrouvent...

L'autrice de cette histoire, Raphaëlle Frémont, est conférencière à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais.

Ici, on lit des histoires courtes

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