Byzance dans une mosaïque

Raphaëlle Frémont

Raphaëlle Frémont

L'autrice de cette histoire, Raphaëlle Frémont, est conférencière à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais.

Oratoire de Germigny-des-Prés

* * *

Isabelle et Antonin se retrouvent en secret dans leur lieu préféré à la tombée de la nuit, une sorte de petite église abandonnée. Ils chuchotent et se confient tendrement, heureux d’être enfin réunis. Une torche est posée sur la table d’autel et les nimbe d’une lumière chaude qui vacille un peu.
Quand Isabelle voit un carré brillant au sol, elle se baisse pour le ramasser et lève les yeux pour en trouver la provenance... Antonin lève la torche et aperçoit quelque chose qui brille sur la voûte. Ils jettent quelques cailloux, qui font s’écrouler le mince enduit blanchâtre qui recouvre un étrange trésor...

950 ans plus tôt :
L’évêque Théodulf nous accueille, l’air sérieux. Je regarde messire Eudes de Metz pour savoir comment me comporter, et m’incline avec lui. Je me redresse et tente de faire bonne figure en imitant cet architecte rencontré deux mois plus tôt. Je me demande encore ce qui m’a pris de lui dire que je pourrais réaliser d’aussi beaux trésors de mosaïque que mon père ! J’avais encore bu ce soir-là. Depuis que mon père est mort il y a 6 mois, j’ai fait n’importe quoi. C’était le plus grand mosaïste de la région et tout le monde le savait ! C’est pour cela que messire Eudes voulait qu’il participe à ce chantier dont tout le monde parle dans l’empire de Charlemagne. Et voilà comment je me retrouve ici, devant le grand Théodulf et ses manuscrits, du haut de mes 14 ans, à jurer que je vais réaliser la plus belle mosaïque qu’on ait vue de mémoire de Franc !

Papa, si tu es là, j’ai besoin de ton aide ! J’ai besoin des images de ta belle Constantinople que tu me racontais le soir, de tes tesselles d’or et de verre, Papa, aide-moi je t’en supplie !

« Eh bien mon fils, c’est à nous de jouer maintenant »
Messire Eudes ne m’avait jamais appelé comme ça. Il y a une telle bienveillance dans son regard ! Je me sens porté, encouragé, comme si tu étais encore avec moi à travers lui. Au travail !

Dans l’atelier, je pose la main sur tes outils, Papa... mes outils, nettoie la poussière des étals, et commence à dessiner. La main de Dieu au centre, et les anges, à gauche et à droite. L’un pour le peuple juif, et l’autre pour le peuple chrétien. Je t’ai vu faire ça des centaines de fois, c’est comme si ta main dessinait à travers moi. J’arrondis un peu leurs auréoles, affermis les sourcils en arête de poisson, prends le temps de tracer les mains bénissantes, rajoute quelques étoiles entre les deux... dessous, j’imagine l’arche d’alliance surmontée de ses deux chérubins d’or. Comme ça je suis sûr de plaire à l’évêque qui ne veut plus de l’idolâtrie des personnes divines. Quand Eudes regarde mon dessin, je reconnais ce sourire : il savait que j’y arriverais ! Il me dicte une phrase de Théodulf en latin pour compléter. Le plan en croix grecque qu’il a dessiné pour ce nouvel oratoire donne une place de choix à ma mosaïque, au creux de la voûte, majestueuse, juste au-dessus de l’autel. Pour la mettre en valeur, il prévoit même une série de niches qui rythment l’espace et jouent avec la lumière.

Pendant que les travaux avancent, je m’affaire, retrouve tes anciens fournisseurs, réalise un modèle à la taille de la voûte, achète des pierres, affûte... je commence à découper les tesselles de pierres et de verres, régulières. Au fil des jours, chaque geste me semble plus naturel, plus évident.

Eudes m’appelle enfin pour poser la mosaïque, il a tendu un échafaudage. J’y passe mes jours et mes nuits, je monte et je descends avec les seaux de mortier et fixe, une à une, les tesselles. Je veille dessus jusqu’à ce qu’ils soient solidement ancrés. Quand je descends enfin, je prends pleinement conscience que j’ai réussi ! Et ce bâtiment
rayonnera bien au-delà de l’évêché d’Orléans, j’en suis sûr !
Aujourd’hui, ma carrière est lancée, et je pense commencer à voyager, comme mon père, et son père avant lui. Le monde oubliera mon nom, mais ma mosaïque, elle, survivra.

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Ici, on lit des histoires courtes

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